Soffrey Alleman, dit le Capitaine Molard, seigneur du Molard* et baron d’Uriage, lieutenant général du Dauphiné, capitaine général des gens de pied de l’armée du Roi en Italie … cousin du chevalier Bayard…

Soffrey Alleman, dit le capitaine Molard*, fut un vaillant chevalier, « l’un des plus braves de son temps », reconnu et récompensé par le roi de France. Il est trop souvent oublié… la faute à son illustre cousin qui lui fait de l’ombre : Bayard… C’est pourtant bien lui qui fut le seigneur d’Uriage, son cousin n’y ayant fait que de brefs séjours. Rendons donc à Soffrey sa mémoire, son fief… et son panache !

* Dans le Dauphiné, le nom de Molard est donné à presque toutes les petites collines arrondies. Le mot « molarium » désigne le site d’une fortification bâtie sur un mamelon. Sur le territoire de Corenc, se trouvait en effet une maison-forte nommée le Molard, fief des Alleman. Le père de Soffrey, Guigues V Alleman, était « seigneur du Molard et d’Uriage », la terre du Molard lui étant échue par son mariage avec Marie Grinde, Dame du Molard.

Soffrey Alleman, dit le capitaine Molard, baron d’Uriage (Uriage fut érigé en Baronnie en 1496, faveur accordée à Soffrey Alleman par le roi Charles VIII), lieutenant général du Dauphiné, capitaine général des gens de pied de l’armée du roi en Italie, compagnon d’armes du chevalier Bayard, s’illustra dans de nombreuses batailles, notamment sous les murs de Brescia, et fut tué à la bataille de Ravenne (Italie) le 11 avril 1512 (sa mort fut décrite et rapportée par Bayard lui-même dans une lettre à leur oncle).

Armoiries de Soffrey Alleman d’Uriage : «Ecu parti, au 1er coupé d’un aigle à deux têtes au vol abaissé et
d’un lion (Uriage), au 2e semé de fleurs de lys, une bande brochant
».
Son sceau est «timbré et accosté de rinceaux».
Cette superbe pierre gravée est encastrée dans le mur du bassin du village voisin, et «frère» historique, de Revel.

Portrait de Soffrey Allemand décrit par Symphorien Champier, contemporain, chirurgien lyonnais et auteur d’une biographie de Bayard, son cousin par alliance : « Il était moult beau chevalier, grand de corps, nerveux de membres, grand et large de poitrine, puissant de sa personne, hardi de coeur, doux et gracieux à ses voisins et par renommée de son temps un des plus forts et robustes du royaume de France. »

Après s’être illustré dans les fameux tournois de Lyon, Soffrey Alleman d’Uriage devient rapidement un chevalier respecté et un capitaine renommé, « un de ces gentilhommes dauphinois dont la bravoure et les faits d’armes jetèrent alors un si grand éclat sur la noblesse de notre province » (in « Biographie du Dauphiné » ), en qui le roi a grande confiance, et il s’illustre particulièrement dans les guerres d’Italie (1494-1515), aux côtés de son cousin, à Gênes, à Agnadel, à Bologne, à Brescia et à Ravenne où il périra.

Les parents de Soffrey, Guigues V Alleman d’Uriage, chambellan sous Louis XI, et sa femme Marie Grinde, meurent tous deux en 1496. Soffrey hérite de la terre d’Uriage sur laquelle veille la famille Alleman depuis déjà 5 siècles

Par acte notarié du « 7 janvier 1497, transaction ménagée par Laurent Alleman, évêque et prince de Grenoble, François Dupuis (de Puteo), official de Grenoble, Jean de Chaponay, auditeur de la chambre des comptes et François Marc, docteur en droit, entre noble et puissant Soffrey Alleman (Alamandi), seigneur d’Uriage, Félix Alleman, seigneur de Revel (Revelli) et Louis Alleman, prieur commanditaire de Saint-Nizier (Sancti Nizetii), tous les trois fils de Guigues : elle porte que la baronnie d’Uriage appartiendra à Soffrey, en payant deux parts des dettes de la succession; que Félix aura Revel, Saint Jean le Vieux, Saint Maurice, Montémont (Montis Aymonis) et la Combe de Lancey, avec un tiers des dettes; enfin que la pension de Louis sera portée à 300 florins. » (« Inventaire des archives dauphinoises » de M. Henry Morin-Pons)

Note : Son frère, Félix ALLEMAN, se maria à Antoinette ALLEMAN de Rochechinard et devint seigneur de Revel de 1455 à 1501. Gaspard ALLEMAN, fils de Félix et donc neveu de Soffrey, sera baron d’Uriage et seigneur de Revel de 1501 à 1569.

Par acte notarié du 1er août 1497, Soffrey Alleman a albergé (dans le droit féodal : accorder la jouissance à un paysan pour une longue durée, moyennant une redevance annuelle) aux habitants des cinq paroisses la terre d’Uriage, de manière irrévocable et à perpétuité. Grâce à ce document, malgré de nombreuses procédures au cours des siècles suivants, la communauté villageoise est restée propriétaire de la forêt.

Un proche du pouvoir royal

C’est sous Soffrey qu’Uriage est érigé en Baronnie en 1496 par le roi Charles VIII, très probablement en reconnaissance des nombreux services rendus par la famille Alleman au pouvoir royal.

D’après le bulletin de l’Académie Delphinale, Soffrey Alleman (s’agit-il bien de « notre » Soffrey ou bien de son oncle homonyme, seigneur de Châteauneuf de l’Albenc…? Mort en 1462, ce dernier ne semble pas être celui dont l’anecdote est relatée ci-après.) fut « l’un des plus fidèles compagnons du Dauphin [En 1447, le prince Louis, banni du royaume pour quatre mois, est autorisé à se rendre en Dauphiné, territoire non rattaché au royaume de France tout en étant dévolu à l’héritier de la Couronne (lequel est pour cette raison appelé « dauphin de Viennois ») : en une dizaine d’années, il transforme la principauté en véritable Etat indépendant.] pendant son exil en Flandre (1456-1461), l’un des principaux instruments de ses vengeances après son avènement, [et il] avait encouru de profondes inimitiés. Les plaintes formulées contre lui auprès du roi occasionnèrent, en 1464, un incident qui caractérise bien le régime d’intimidation organisé par Louis XI.  […] Soffrey désigna par leur nom plusieurs de ceux qui avaient « conspiré » contre lui […] qui tous avaient rétracté publiquement leurs plaintes et « cryé mercy » au seigneur de Châteauneuf. »

Vers 1455, un Soffrey Alleman né vers 1418 perd sa jeune épouse de 20 ans, Claudine Grinde. Lieutenant et maréchal en Dauphiné, ambassadeur du roi Louis XI, il épouse en seconde noce Claude de Beauvoir de Villeneuve de Marc, dame de Saint-Romans et dame d’honneur de la reine Charlotte de Savoie, dont il aura deux filles : Louise et Charlotte.

Dans un document de 1466 (pièce signée sur vélin), il est fait mention d’un « Reçu du trésorier général du Dauphiné la somme de 600 livres tournois à compte sur la pension de 1200 livres que le roi lui donne chaque année ».

On trouve aussi la trace d’une autre union : par contrat du 18 janvier 1488, Soffrey Alleman d’Uriage épouse Jeanne Richard de Saint-Priest, fille du conseiller et chambellan du roi Louis XI et d’Isabeau, bâtarde de France (fille de Louis XI et de Marguerite de Sassenage). De ce mariage naîtront Philibert (sans postérité), Guillaume (sans postérité), Isabelle et Marguerite.

Il semble donc bien qu’il y ait dans certaines sources parfois confusion entre deux homonymes, oncle et neveu, ce qui expliquerait l’usage courant du surnom de Capitaine Molard. A partir de là, concernant les faits d’armes du Soffrey « Capitaine Molard » Alleman, il n’y a plus aucun doute.

Les faits d’armes du Capitaine Molard

Armure dite de Bayard, Musée des Armées

Le jeune chevalier affûte ses premières armes et réalise ses premiers exploits, comme son cousin Bayard, lors des tournois fort renommés de Lyon où il se forge une solide réputation.

Le jeune Soffrey semble incarner tous les caractères chevaleresques de la famille Alleman. Une anecdote nous est parvenue par le témoignage d’un contemporain, cousin par alliance de Bayard, Symphorien Champier (consignée in « Album du Dauphiné » de 1835 ) : alors que Claude de Vaudrey, chevalier bourguignon renommé de grande bravoure et de noblesse d’âme (Le jeune Bayard âgé de 18 ans, lors d’un tournoi à Lyon osa se mesurer avec ce personnage au coup de lance redoutable, il sortit indemne grâce à la mansuétude du Chevalier de Vaudrey.) se présentait dans les grandes villes pour jouter avec tous les gentilshommes qui le souhaitaient, Soffrey Alleman apprend que celui-ci passe à Grenoble :

« Quand le seigneur d’Uriage, que pour lors on appelait seigneur du Molar, sceust que un bourguignon si fort clamé et estimé par tout le monde était venu en Dauphiné tenir les joustes et les rencs contre tout venant, il lui sembla que ce eust été déshonneur au pays du Dauphiné s’il ne trouvait rencontre à tout le moins semblable à lui, si délibéra combattre à lui et bouter sa personne contre la sienne ; si lui rescript en cette manière: Messire, j’ai sceu comme avez fait crier les joustes et tenir rencs des armes à tous et contre tous gentilshommes de toutes nations en ce pays de Dauphiné, duquel je suis, par origine et naissance, vrai zélateur et amateur; et à cette cause et pour l’honneur du pays, je suis délibéré un tel jour exposer ma personne contre la vôtre. (…) mais proteste une chose avant toutes choses que le combat de votre personne à la mienne sera par outrance et non en apprentis aux armes, mais comme un gentilhomme contre un autre de semblable qualité. »

Mais la réputation du jeune Soffrey le précédait déjà. Il était en effet comparé à « un Hector troyen en corps, un Achille en hardiesse, un Thésée en jeunesse ardente et aventureuse », tant et si bien que le bourguignon n’osa jamais l’affronter en duel de peur d’être percé d’un trait fulgurant. Soffrey se présenta tout en arme un jour de duel, mais quelle ne fut pas sa déception de ne pas y trouver son « noble » adversaire.

« Si cria plusieurs fois : « Messire Claude, où êtes-vous, venez et ne veuillez crainde ung homme jeune aux armes » ; mais messire Claude ne se monstra aucunement. Si protesta devant tous les assistants monsieur du Molar contre messire Claude de Vaudrey: si le poursuivit bien dix ans par justice, et à la fin fut condamné messire Claude, et fut dit qu’il combattrait par arrêt, lequel fut exécuté après, mais non pas par force d’armes, mais amyablement et demeura l’honneur à môsieur du Molar… »

Cette anecdote résume le caractère impétueux mais d’une indubitable noblesse d’âme des hommes de la famille d’Uriage. (> extrait de l’article « Gare la queue des Alleman 2/2« )

L’ascension de Soffrey est fulgurante : chevalier respecté, il devient un capitaine renommé, en qui le roi a grande confiance, et il s’illustre particulièrement dans les guerres d’Italie (1494-1515), aux côtés de son cousin, à Gênes, à Agnadel, à Bologne, à Brescia et à Ravenne où il périt.

Dans la « Revue Historique de la Noblesse », tome premier, de André Borel d’Hauterive (1841) , on peut lire :

« Ces trois personnages ont été effacés par le petit-fils de Guigues d’Uriage, celui de tous les Allemans qui acquit la plus haute renommée dans les guerres d’Italie. Son nom était Soffrey. […] Dans les chroniques il est toujours appelé le capitaine Molard  […] son panégyriste dit de lui que « c’estoit ung aultre Belgius françoys. » Sa réputation date de ses fameux tournois de Lyon où Bayard fit aussi ses premières armes ; mais sa fortune fut plus rapide que celle du Chevalier sans reproche. Tour à tour chef de compagnie, conseiller du conseil privé, et lieutenant du roi en Dauphiné, il commanda l’avant-garde à l’assaut de Gênes, en 1507. L’année suivante, envoyé au secours du duc de Ferrare, il défit la flotte vénitienne dans un combat naval, prit quinze galères et en coula une à fond. En 1509, il préluda, par la prise de Trévi, à la victoire d’Agnadel. En 1510, il se jeta avec les aventuriers qu’il commandait, dans la place de Montselle, battue en vain par l’artillerie depuis quatre jours. En 1511, il poursuivit les Espagnols et les Venitiens jusqu’aux portes de Bologne. Mais c’est surtout à la prise de Brescia qu’il déploya sa « valeur de lyon ». Bayard avait obtenu l’honneur de pousser la première attaque contre les retranchements ennemeis. Le capitaine Molard se mit avec lui et s’avança sous le feu de la place, ayant oté ses souliers de fer, afin de courir plus à l’aise. Lui et les siens criaient si fort, qu’ils couvraient la voix des canons. L’abord fut terrible : Bayard tomba blessé d’un coup qu’on réputa mortel. Cet accident précipité la victoire ; Soffrey pleurant de douleur et de rage, atteignit les défenseurs du rempart, les chassa hors du château et les poussa jusque dans la ville, sans qu’ils eussent eu le temps de rompre le pont-levis. Il périt quelques semaines après dans la bataille qui se livra sous les murs de Ravenne.»

Les deux cousins étaient très proches, comme le confirment les différentes sources relatant leurs exploits guerriers. Fidèles à la tradition familiale de solidarité sans faille des Alleman (> lire « Gare la queue des Alleman 1/2« ), quiconque touchait à l’un se voyait sans aucun doute attaqué par l’autre…

Un autre fait d’armes est précisé dans « Theys : Son histoire » de Henri Pouchot :

« Soffrey Alleman, seigneur d’Uriage et du Molard (château de Corenc), compagnon de Bayard qui s’empara à la prise de Bologne de l’étendard du pape Jules II, en satin rouge, exposé à Grenoble en 1511. Ce vaillant homme de guerre eut sa terre érigée, en 1496, par Charles VIII, en baronnie d’Uriage, fut lieutenant général du Dauphiné en 1505 et fut tué à la bataille de Ravenne (1512). »

On peut lire dans l’ « HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL SEIGNEUR DE BAYART DIT LE BON CHEVALIER SANS PEUR ET SANS REPROCHE » par Alfred de Terrebasse (1831) :

CHAPITRE XXV. 1509 (extraits)

« Son cousin, Soffrey Alleman de Molard, arriva quelque temps après avec la bande de deux mille gens de pied dauphinois que Louis XII, jaloux d’affranchir son royaume du tribut onéreux qu’il payait aux Suisses, avait confiés à l’expérience de ce brave capitaine. L’infanterie française n’avait été jusqu’alors composée que de rustres, gens de sac et de corde, rassemblés au commencement, et licenciés à la fin de chaque campagne. La bande du capitaine Molard — c’était le nom que l’on donnait alors aux compagnies de gens de pied — fut le premier corps national payé et entretenu sous les drapeaux, en paix comme en guerre. Louis s’appliquait à relever le service de l’infanterie, dont les Suisses avaient fait reconnaître la supériorité dans les guerres d’Italie, et que, par un ancien préjugé, la noblesse française regardait encore comme au-dessous d’elle.

CHAPITRE XXXI. Prise de BRESCIA. 1512. (extraits)

[…]L’ordonnance de l’assaut fut disposée ainsi : le seigneur de Molard ferait la première pointe avec ses gens de pied et les Gascons du capitaine Hérigoye. […]

« Vous envoyez le capitaine Molard faire la première pointe, et ni lui ni ses aventuriers ne sont gens à reculer ; mais les ennemis leur mettront également en tête l’élite de leurs troupes, et pour sûr leurs arquebusiers. »

[…]

Le seigneur de Molard et le capitaine Hérigoye avançaient en tête avec leurs gens de pied, et sur leur aile le Bon Chevalier à pied avec tous ses gens d’armes. C’était une compagnie d’élite composée de guerriers blanchis sous le harnois, et même de plusieurs anciens capitaines qui préféraient servir sous lui à commander ailleurs. Ils abordèrent le premier rempart sous une grêle de traits d’arquebusades, et l’assaut et la résistance furent également terribles. André Gritti encourageait ses gens et leur disait : « Tenez bon, mes amis, les Français n’ont que la première pointe, ils seront bientôt las, c’est feu de paille qui ne dure guère. » Les aventuriers et les gendarmes revenaient opiniâtrement à la charge ami cris de « France, France ! Bayart, Fête-Dieu, Bayart ! » Gritti, entendant retentir ce nom qu’il connaissait bien, en fut peu réjoui. « Comment ! s’écria-t-il, ce Bayart est donc partout ? Vraiment ils croissent les Bayart en France comme champignons, car on n’entend parler en toutes batailles que de Bayart. Mes amis, jetez-vous sur celui qui marche le premier, car si vous pouvez défaire de Bayart, tout est défait. » Mais l’éloquent et sage Provéditeur parlait mieux qu’il ne rompait une lance, et ses soldats n’en reculèrent pas moins. « Dedans, dedans, compagnons ! ils sont à nous », cria le Bon Chevalier en franchissant le rempart ; suivi de tous les siens. Ce bastion finit par rester aux Français jonché de morts de part et d’autre. Mais un capitaine vénitien, saisissant l’instant où Bayart chancelait sur les décombres, l’atteignit au haut de la cuisse d’un coup de pique si violent que le bois se rompit et que le fer demeura dans la blessure avec le reste du fût. La douleur qu’il ressentit ne l’empêcha pas de couper le bois avec son épée, et d’essayer d’avancer nonobstant que la pointe fût restée bien avant dans sa cuisse. Mais le sang jaillissait à gros bouillons, et, s’il n’eût été soutenu par ses archers, le Bon Chevalier allait mesurer la terre. « Mon compagnon, dit-il au capitaine Molard, faites marcher vos gens et les miens ; la ville est gagnée, pour moi je n’y entrerai point, car je suis mort. » Le pauvre seigneur, désolé et furieux de la perte de son bon ami et voisin, fondit sur les ennemis, sacrifiant à sa vengeance tout ce qui se présentait devant lui. Nemours, qui suivait de près, en apprenant la blessure mortelle que venait de recevoir Bayart à la prise du bastion, n’en ressentit paf, moins de douleur que si lui-même il eût reçu le coup. « Messeigneurs, mes amis, s’écria-t-il, vengeons sur ces vilains la mort du plus accompli chevalier qui fût au monde ; suivez-moi ! » Les Vénitiens ne purent supporter le choc de cette intrépide cohorte, et se hâtèrent de gagner la ville, espérant lever le pont après eux ; mais on ne leur en laissa pas le loisir, et les Français entrèrent dans l’enceinte pêle-mêle avec les fuyards. Les citadins, les femmes et les en-fans faisaient pleuvoir des fenêtres sur les Français dés pierres, des meubles, de l’eau bouillante, dont ils eurent plus à souffrir que des gens de guerre vénitiens. Gritti, le comte Advogaro, Contarini, le podestat Justiani et autres capitaines, jugeant toute résistance inutile, s’enfuirent à bride abattue vers la porte Sancto-Nazaro ; mais à peine eurent-ils fait abaisser le pont que le seigneur d’Alègre et ses trois cents gendarmes se précipitèrent dessus et les refoulèrent dans la ville où ils furent faits prisonniers.Lorsqu’il n’y eut plus d’ennemis à combattre, le pillage commença. Tous les désordres que l’on peut supposer dans une ville prise d’assaut furent commis dans Brescia, moins encore par les Français que par les Gascons et surtout par les lansquenets. Les monastères furent forcés, les vierges arrachées des autels, les filles et les femmes violées sous les yeux de leurs parents et de leurs maris ; pendant sept jours cette soldatesque effrénée, sourde à la voix de ses capitaines, épuisa sur cette ville malheureuse tous les genres de dissolution et de cruauté. Gaston parvint enfin à rétablir l’ordre parmi ses gens de guerre, et se hâta de faire enlever les corps morts au nombre de plus de vingt mille, de peur d’infection. Puis on instruisit le procès à l’auteur de tous ces maux, le comte Louis Advogaro ; il eut la tête tranchée sur la grande place, et son corps fut mis en quatre quartiers aux portes de la ville.

CHAPITRE XXXII. Bataille de RAVENNE 1512. (extraits)

[…] C’était aux lansquenets de passer les premiers le pont, mais le capitaine Molard cria à ses aventuriers : « Comment, compagnons, sera-t-il dit que les lansquenets ont joint l’ennemi avant nous ; quant à moi, j’aimerais mieux perdre les deux yeux de ma tête ! » Les Allemands obstruaient le passage, et Molard se jette dans la rivière, suivi de tous ses gens qui, nonobstant qu’ils eussent de l’eau jusqu’à la ceinture, atteignirent l’autre bord avant les lansquenets. L’artillerie et le reste de l’année se mirent à la file.[…] »

Dans la « Revue Historique de la Noblesse », tome premier, de André Borel d’Hauterive (1841), on rapporte les circonstances de la mort du capitaine Molard :

« A ces mots, il se jeta dans l’eau jusqu’aux épaules, et ses hommes après lui. Dans le plan de bataille, il devait protéger l’artillerie. Trois heures durant, il se tint derrière les pièces, dirigeant le feu des arquebusiers avec le capitaine Jacob Fermutz, qui commandait les lansquenets. […] C’était le moment de charger ; avant d’ébranler leurs bataillons, Soffrey et Jacob Fermutz demandèrent à boire. On leur apporta deux verres, et comme ils trinquaient, un boulet de canon les emporta tous les deux. »


[…] « Il périt dans cette bataille de Ravennes, l’une des plus sanglantes qu’on eût vues depuis longtemps, douze mille Espagnols, et environ six mille Français ; mais, à ne considérer que l’importance des morts, leur perte surpassa celle des ennemis. Il se trouva autant de capitaines français tués que de capitaines espagnols prisonniers, et l’on comptait plus de cinquante de ces derniers ! « Plût à Dieu, s’écria douloureusement Louis XII à cette nouvelle, que j’eusse perdu tous les Etats que je possède en Italie, et que mon neveu et tant de braves capitaines fussent encore en vie ! Que le ciel, dans sa colère, réserve de semblables victoires à mes ennemis ! »

(in « HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL SEIGNEUR DE BAYART » par Alfred de Terrebasse)

Soffrey Alleman était l’un d’eux… et Bayard le pleura.

« Depuis Azincourt, on n’avait pas vu périr tant de noblesse en une seule journée ; et le véridique Bayard écrivit à son oncle Laurent Alleman, en lui annonçant la mort du brave Soffrey : «  Si le roy a gaignié la bataille, les pauvres gentilhommes l’ont bien perdue. »

(in « Revue Historique de la Noblesse », tome premier, de André Borel d’Hauterive, 1841)

La grande Histoire n’a pourtant pas retenu les exploits de Soffrey, qui ont été soufflés par ceux de Bayard et de Gaston de Foix...

Pierre Terrail dit le Chevalier Bayard, cousin de Soffrey Alleman, seigneur d’Uriage

Auteur : Céline Garrel

Sources :

  • « Vie de Bayard » de Symphorien Champier (contemporain), 1525
  • « Theys : Son histoire » de Henri Pouchot
  • « HISTOIRE DE PIERRE TERRAIL SEIGNEUR DE BAYART DIT LE BON CHEVALIER SANS PEUR ET SANS REPROCHE » par Alfred de Terrebasse, 1831
  • « Album du Dauphiné », Cassien et Debelle, 1835-1839
  • Joseph Roman, Description des sceaux des familles seigneuriales de Dauphiné, article Soffrey, seigneur d’Uriage, Grenoble, 1913

Remerciements : Pierre-Emmanuel Largeron pour son aide précieuse, et l’ Association pour la Sauvegarde et la Mise en valeur du Patrimoine de Saint-Martin-d’Uriage pour sa participation.

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Archéologie expérimentale : étude scientifique AMHE du combat en armure au XVe siècle à partir des traités de combat (vidéo Musée de Cluny) / à lire aussi : la traversée des Alpes en armure sur les traces de François 1er

* * * * * * * * * * * * * * * * * * * *

Le duel de Roland et Olivier

« Le Mariage de Roland », Victor Hugo, La Légende des Siècles, 1859.

Ils se battent – combat terrible ! – corps à corps.
Voilà déjà longtemps que leurs chevaux sont morts ;
Ils sont là seuls tous deux dans une île du Rhône,
Le fleuve à grand bruit roule un flot rapide et jaune,
Le vent trempe en sifflant les brins d’herbe dans l’eau.
L’archange saint Michel attaquant Apollo
Ne ferait pas un choc plus étrange et plus sombre ;
Déjà, bien avant l’aube, ils combattaient dans l’ombre.
Qui, cette nuit, eût vu s’habiller ces barons,
Avant que la visière eût dérobé leurs fronts,
Eût vu deux pages blonds, roses comme des filles.
Hier, c’étaient deux enfants riant à leurs familles,
Beaux, charmants ; – aujourd’hui, sur ce fatal terrain,
C’est le duel effrayant de deux spectres d’airain,
Deux fantômes auxquels le démon prête une âme,
Deux masques dont les trous laissent voir de la flamme.
Ils luttent, noirs, muets, furieux, acharnés.
Les bateliers pensifs qui les ont amenés,
Ont raison d’avoir peur et de fuir dans la plaine,
Et d’oser, de bien loin, les épier à peine,
Car de ces deux enfants, qu’on regarde en tremblant,
L’un s’appelle Olivier et l’autre a nom Roland.
Et, depuis qu’ils sont là, sombres, ardents, farouches,
Un mot n’est pas encor sorti de ces deux bouches.
Olivier, sieur de Vienne et comte souverain,
A pour père Gérard et pour aïeul Garin.
Il fut pour ce combat habillé par son père.
Sur sa targe est sculpté Bacchus faisant la guerre
Aux Normands, Rollon ivre et Rouen consterné,
Et le dieu souriant par des tigres traîné
Chassant, buveur de vin, tous ces buveurs de cidre.
Son casque est enfoui sous les ailes d’une hydre ;
Il porte le haubert que portait Salomon ;
Son estoc resplendit comme l’œil d’un démon ;
Il y grava son nom afin qu’on s’en souvienne ;
Au moment du départ, l’archevêque de Vienne
A béni son cimier de prince féodal.
Roland a son habit de fer, et Durandal.
Ils luttent de si près avec de sourds murmures,

Que leur souffle âpre et chaud s’empreint sur leurs armures ;

Le pied presse le pied ; l’île à leurs noirs assauts
Tressaille au loin ; l’acier mord le fer ; des morceaux
De heaume et de haubert, sans que pas un s’émeuve,
Sautent à chaque instant dans l’herbe et dans le fleuve,
Leurs brassards sont rayés de longs filets de sang
Qui coule de leur crâne et dans leurs yeux descend.
Soudain, sire Olivier, qu’un coup affreux démasque,
Voit tomber à la fois son épée et son casque.
Main vide et tête nue, et Roland l’œil en feu !
L’enfant songe à son père et se tourne vers Dieu.
Durandal sur son front brille. Plus d’espérance !
« Cà, dit Roland, je suis neveu du roi de France,
Je dois me comporter en franc neveu de roi.
Quand j’ai mon ennemi désarmé devant moi,
Je m’arrête. Va donc chercher une autre épée,
Et tâche, cette fois, qu’elle soit bien trempée.
Tu feras apporter à boire en même temps,
Car j’ai soif. – Fils, merci, dit Olivier. – J’attends,
Dit Roland, hâte-toi. » Sire Olivier appelle
Un batelier caché derrière une chapelle.
« Cours à la vile, et dis à mon père qu’il faut
Une autre épée à l’un de nous, et qu’il fait chaud. »
Cependant les héros, assis dans les broussailles,
S’aident à délacer leurs capuchons de mailles,
Se lavent le visage et causent un moment.
Le batelier revient ; il a fait promptement ;
L’homme a vu le vieux comte ; il rapporte une épée
Et du vin, de ce vin qu’aimait le grand Pompée
Et que Tournon récolte au flanc de son vieux mont.
L’épée est cette illustre et fière Closamont
Que d’autres quelquefois appellent Haute-Claire.
L’homme a fui. Les héros achèvent sans colère
Ce qu’ils disaient ; le ciel rayonne au-dessus d’eux ;
Olivier verse à voire à Roland ; puis tous deux
Marchent droit l’un vers l’autre, et le duel recommence.
Voilà que par degrés de sa sombre démence
Le combat les enivre ; il leur revient au cœur
Ce je ne sais quel dieu qui veut qu’on soit vainqueur,
Et qui, s’exaspérant aux armures frappées,
Mêle l’éclair des yeux aux lueurs des épées.
Ils combattent, versant à flots leur sang vermeil.
Le jour entier se passe ainsi. Mais le soleil
Baisse vers l’horizon. La nuit vient. « Camarade,
Dit Roland, je ne sais, mais je me sens malade.
Je ne me soutiens plus, et je voudrais un peu

De repos. – Je prétends, avec l’aide de Dieu,
Dit le bel Olivier, le sourire à la lèvre,
Vous vaincre par l’épée et non point par la fièvre.
Dormez sur l’herbe verte, et cette nuit, Roland,
Je vous éventerai de mon panache blanc.
Couchez-vous, et dormez. -Vassal, ton âme est neuve,
Dit Roland. Je riais, je faisais une épreuve.
Sans m’arrêter et sans me reposer, je puis
Combattre quatre jours encore, et quatre nuits. »
Le duel reprend. La mort plane, le sang ruisselle.
Durandal heurte et suit Closamont ; l’étincelle
Jaillit de toutes parts sous leurs coups répétés.
L’ombre autour d’eux s’emplit de sinistres clartés.
Ils frappent ; le brouillard du fleuve monte et fume ;
Le voyageur s’effraye et croit voir dans la brume
D’étranges bûcherons qui travaillent la nuit.
Le jour naît, le combat continue à grand bruit ;
La pâle nuit revient, ils combattent ; l’aurore
Reparaît dans les cieux, ils combattent encore.
Nul repos. Seulement, vers le troisième soir,
Sous un arbre, en causant, ils sont allés s’asseoir ;
Puis ont recommencé. Le vieux Gérard dans Vienne
Attend depuis trois jours que son enfant revienne.
Il envoie un devin regarder sur les tours ;
Le devin dit : « Seigneur, ils combattent toujours. »
Quatre jours sont passés, et l’île et le rivage
Tremblent sous ce fracas monstrueux et sauvage.
Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais lassés,
Froissent le glaive au glaive et sautent les fossés,
Et passent, au milieu des ronces remuées,
Comme deux tourbillons et comme deux nuées.
Ô chocs affreux ! terreur ! tumulte étincelant !
Mais, enfin, Olivier saisit au corps Roland
Qui de son propre sang en combattant s’abreuve,
Et jette d’un revers Durandal dans le fleuve.
« C’est mon tour maintenant, et je vais envoyer
Chercher un autre estoc pour vous, dit
Olivier.
Le sabre du géant Sinnagog est à Vienne.
C’est, après Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon père le lui prit alors qu’il le défit.
Acceptez-le. » Roland sourit. « Il me suffit
De ce bâton. » Il dit, et déracine un chêne.
Sire Olivier arrache un orme dans la plaine
Et jette son épée, et Roland, plein d’ennui,

L’attaque. Il n’aimait pas qu’on vînt faire après lui
Les générosités qu’il avait déjà faites.
Plus d’épée en leurs mains, plus de casque à leurs têtes.
Ils luttent maintenant, sourds, effarés, béants,
A grands coups de troncs d’arbre, ainsi que des géants.
Pour la cinquième fois, voici que la nuit tombe.
Tout à coup, Olivier, aigle aux yeux de colombe,
S’arrête, et dit : « Roland, nous n’en finirons point.
Tant qu’il nous restera quelque tronçon au poing,
Nous lutterons ainsi que lions et panthères.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions frères ?
Écoute, j’ai ma sœur, la belle Aude au bras blanc,
Épouse-là. – Pardieu ! je veux bien, dit Roland.
Et maintenant buvons, car l’affaire était chaude. »
C’est ainsi que Roland épousa la belle Aude.

Combat singulier soumis au jugement de Dieu (d’après une miniature du quinzième siècle). Collection Joinville / akg-images

4 commentaires sur « Soffrey Alleman, dit le Capitaine Molard, seigneur du Molard* et baron d’Uriage, lieutenant général du Dauphiné, capitaine général des gens de pied de l’armée du Roi en Italie … cousin du chevalier Bayard… »

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer