La vie de château

Si les seigneurs Alleman d’Uriage vivent en permanence au château, il n’en est pas de même pour leurs successeurs, plus bourgeois, qui partagent leur existence entre ville et campagne.

À partir du XVIIe siècle, la gestion annuelle du château était donc une réelle entreprise, nécessitant la présence continue de plusieurs dizaines de travailleurs-employés pour l’ensemble du domaine.

Début du XXe siècle.

Les Boffin (à partir de 1620), puis les Langon au milieu du XVIIe siècle et les Gauteron dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, avaient tous leur résidence principale à Grenoble. Le château d’Uriage était donc pour eux la résidence « de campagne » idéale, car assez proche pour faire le trajet en voiture à cheval dans la demi-journée.

Les Sibeud de Saint-Ferriol (pendant environ un siècle à partir de 1828) vivaient à Paris et ne s’installaient au château que durant l’été et l’automne.

Le personnel – « de maison » et « d’extérieur » – se retrouvait donc, la plupart du temps, à la gestion des affaires courantes, sur le terrain.

Le régisseur

Le personnage central du quotidien du château est le régisseur, « l’homme de confiance » des familles successives. Il dirige et organise concrètement l’ensemble du domaine et ceux qui y travaillent. Son rôle est d’être au courant de tout ce qui s’y passe, de garder un œil sur tout et de rendre compte très régulièrement aux propriétaires. L’homme de main est aussi celui qui a la main, dans une certaine mesure. Le régisseur s’occupe également de superviser l’entretien du château, du jardin (et du parc), des réparations à effectuer sur tous les bâtiments du domaine ainsi que des chemins (leurs bon maintien et leurs usages). Mais les glacières, chalets et la dizaine de fermes du domaine sont aussi de son ressort. Il fallait en effet que quelqu’un veille à ce que les fermiers respectent bien les engagements pris dans leurs contrats de baux avec le seigneur d’Uriage et qu’ils entretiennent à leur tour correctement les domaines.

Les noms et les coutumes diffèrent au cours des siècles, mais la fonction reste exactement la même du XVIIe au XXe siècle.

On retrouve un certain Joseph Brun (ancien fermier des religieuses de Prémol) en agent de la famille Langon en 1724.

Des dénommés Boujard puis Pilloz sont intendants des biens des Boffin plus tard au cours du siècle. Un dénommé Jean-Baptiste Perrard est régisseur de la marquise de Gauteron en 1825. Ce dernier assurera l’intendance de Louis de Saint-Ferriol au moment du changement de propriétaire. C’est ensuite « M. Clément » qui est l’homme de main des Saint-Ferriol; si bien que la comtesse lui fait confiance personnellement, pour une signature par procuration, lors de la succession de 1877.

C’est un certain Jules Barbier, puis son fils Pierre qui seront les régisseurs de Gabriel de Saint-Ferriol jusqu’en 1926, à la mort de ce dernier.

Le garde forestier

Autre personnage important, le garde forestier nettoie, répare, peint, monte des murs, ramone des cheminées, pose et répare des fils électriques, pose une cloche par ci, plante des arbres par là, il assiste le jardinier, ramasse les fruits, s’occupe des ruches, taille la vigne, confectionne moult objets d’extérieur (bancs, fontaines, tonneaux, portails…), élague les arbres, nettoie les allées, débroussaille… bref, il est le bras qui agis, celui qui ne s’arrête jamais.

On connaît, aux XIXe et XXe siècles, quelques noms de gardes forestiers qui ont marqué leur temps, de leurs notes minutieuses, mais aussi par ce qu’ils ont laissé et le bon ordre quotidien qu’ils permettaient dans toute la commune: Alexis Navisset, Maxime Laboureau et surtout Victor Dauphin (1865-1936) – qui fut en poste de 1896 à 1931.

Son domaine d’action s’étend des cimes de Chamrousse jusqu’au fond du Sonnant sur la route de Grenoble et de Venon à Vaulnaveys-le-Haut. Il répertoria méthodiquement ses 35 années de services sur ses carnets, qui servaient de journal de bord afin d’informer le comte sur les événements importants. Ce qui ressort de ces pages est une foncière honnêteté, une fidélité et un attachement profond à la famille Saint-Ferriol, qui en retour lui accorde confiance et estime dans tout ce qu’il entreprend.

Extrait du carnet de Victor Dauphin, juin 1910.

Il fut évidemment responsable des systèmes d’irrigation et d’approvisionnement en eau des thermes et de toute la commune. Il faut alors nettoyer les écluses, entretenir les ruisseaux, les routoirs, les fontaines, établir de nouveaux captages dès que nécessaire pour l’agriculture ou l’installation de nouvelles familles.

Outre cette vie au service de quatre communes sœurs, sa passion est véritablement la forêt. Il plante, il chasse (il entretient le fusil de « Monsieur le comte »), fait des bornages pour les coupes, visite les charbonnières installées dans les forêts etc. Nombre d’arbres que l’on peut encore admirer sur les sentiers des contreforts saint-martinois de Belledonne furent plantés au temps de M. Dauphin.

Il pêche également, notamment la truite dans les ruisseaux de Saint-Martin-d’Uriage; et aime aussi ramasser les champignons, qu’il laisse au château ou expédie à « Monsieur le comte » à Paris.

La gouvernante

La vie à l’intérieur des bâtiments est régie par une gouvernante, du moins à partir du XIXe siècle. Elle a sous ses ordres un « bataillon » de domestiques nécessaire au bon ordre de plus de quarante pièces: les femmes de chambres, la cuisinière, la lingère, la femme de lessive, le valet, la dame de compagnie, etc., tous lui obéissent pour que cette fourmilière se tienne prête lors de l’arrivée des propriétaires.

Lorsqu’ils annonçaient leur arrivée, on allait les chercher à la gare d’Uriage, d’abord en voiture à cheval, puis en automobile. Gabriel de Saint-Ferriol avait acquis une De Dion-Bouton, marque française active depuis 1883. Pour le conduire, il choisit le fils du fermier du château, Michel-Albert Dubois-Chabert, qui dut passer son permis de conduire (1904) et faire un long stage chez le constructeur parisien  pour acquérir les connaissances nécessaires au maniement et à l’entretient du véhicule. L’écurie du château se transforma en garage !

Toutes les personnes recrutées au château habitaient la commune de Saint-Martin-d’Uriage. Mais il y eut aussi des employés originaires de plus loin: Louis de Saint-Ferriol, dès son mariage, embaucha Maxime Laboureau, garde forestier d’Eure-et-Loire… son père était déjà garde forestier pour la famille Montboissier Beaufort Canillac au château de Chantemesle.

Dans le même temps, deux sœurs Barbier, de Saône-et-Loire, travaillaient aux thermes. L’une d’elles, Reine Barbier, devint la gouvernante du château après son mariage avec Maxime Laboureau…  La sœur, Jeanne Barbier, fit venir son neveu, Jules Barbier, pour être embaucher comme menuisier à l’établissement thermal. Il devint régisseur du comte pendant 25 ans, puis son fils Pierre prendra la relève.

Charité

La vie du château n’allait pas sans une dose de bienfaisance et d’assistance aux populations locales, pratiquées depuis la famille Alleman. Au château même, on était toujours prêts à donner un remède, un onguent préparé par madame la comtesse ou sa gouvernante, dont elles avaient seules le secret. L’onguent servait à la cicatrisation des plaies mais aussi des ulcères et des brûlures.

On y distribuait également du pain tous les jeudi et des vêtements deux fois par an.

La construction du presbytère de Saint-Martin-d’Uriage dépendit d’une vente caritative organisée en 1911 par la comtesse: pendant deux jours, des visiteurs découvrirent le château, écoutèrent des œuvres données ici par des artistes amateurs et autres activités champêtres.

Ces charités avaient lieu tantôt dans la galerie François Ier, tantôt dans l’orangerie.

Aujourd’hui, les seigneurs d’Uriage font partie de l’histoire dauphinoise et des règles de copropriété régissent à présent la vie et les activités au château.


Texte sous licence libre CC0

Sauf mention spéciale, images libres de droits


Bibliographie:

Georges Murienne, Geneviève Dumolard-Murienne, Marie-France Louchet, & al., Le château d’Uriage : 1000 ans d’histoire, Grenoble, Chapõ public éd., 2006.

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