1851 à Domène, la première transfusion sanguine hors milieu hospitalier !

Le 3 janvier 1851, le docteur Melchior Marmonier de Domène, confronté à une situation désespérée, réalise la toute première transfusion sanguine hors milieu hospitalier. Sa réussite inspira confiance aux médecins qui jusqu’ici pensaient que cet acte nécessitait un encadrement spécialisé et entraîné.

Bien qu’une tentative de transfusion ait été faite vainement en 1492 sur le pape Innocent VIII mourant, et plusieurs expériences sous Louis XIV, longtemps considérée comme transgressive et dangereuse, la transfusion sanguine, restée lettre morte pendant plus d’un siècle, allait connaître un nouvel essor au XIXe siècle sous l’égide d’un obstétricien anglais, James Blundell (1790-1877), qui, en 1818, transfusa, avec le sang de son époux, une femme atteinte d’une hémorragique cataclysmique du post-partum. Les travaux de James Blundell offrent globalement un résultat très encourageant, mais ils sont relativement peu suivis, essentiellement en raison de la coagulation du sang du donneur, qui pose de nombreux problèmes.

Illustration parue dans l’Atlas populaire de médecine et de chirurgie d’Émile Littré

Né le 13 septembre 1813 à Montagnieu dans l’Isère, au sein d’une famille rurale relativement aisée, docteur en médecine de la faculté de Montpellier en 1840, Melchior Joseph Marmonier s’engage dans le Corps expéditionnaire d’Algérie comme sous-aide major, puis chirurgien aide-major attaché à la Légion étrangère. Mais son Dauphiné natal lui manquant : il donne sa démission en 1843, et s’installe à Domène où il pratique comme médecin de campagne.

Buste de Melchior Joseph Marmonier à Domène, dédié par la commune en 1891

Voici le récit de la première transfusion sanguine que fit le docteur Melchior Marmonier le 18 mars 1851 dans la Gazette des hôpitaux :

« Le 3 janvier 1861, à 6 heures du matin, je fus appelé pour accoucher la femme Mallet, de Lancey, âgée d’environ trente ans, d’une constitution lymphatique, un peu affaiblie par plusieurs grossesses rapprochées, par des accouchements antérieurs laborieux et par quelques peines morales et physiques… » Le docteur raconte ensuite l’accouchement difficile qui occasionna « une perte de sang plus forte que de coutume. »

Il poursuit :

« Je restai près d’elle encore trois quarts d’heure ; j’examinais le pouls que je trouvai un peu faible, puis je crus pouvoir me retirer, la laissant aux soins de l’accoucheuse. Je l’avais quittée depuis une demi-heure, lorsqu’elle éprouva une hémorragie utérine extrêmement abondante, qui fut suivie d’un long évanouissement ; puis elle reprit connaissance et éprouva un peu de mieux ; mais ce mieux ne devait pas être de longue durée, car une seconde hémorragie, aussi abondante, survint encore et laissa cette fois la malade dans un plus long évanouissement, avec une plus grande faiblesse. Ce fut au moment de la première perte qu’on vint me chercher.  […] Cette femme, que plusieurs fois les personnes présentes avaient cru morte, était d’une faiblesse désespérante, avec une pâleur mortelle ; les extrémités étaient froides, le pouls était presque insensible et quelques fois nul. »

Le docteur prodigua toute une série de soins à la patiente. En vain : « J’entrevoyais une fin prochaine, inévitable. […] J’étais désespéré, lorsque l’idée de la transfusion, qui m’avait déjà préoccupé, m’apparut comme le seul moyen de salut. »

Le docteur improvisa très vite, avec des moyens de fortune, n’ayant pas prévu la nécessité d’un tel acte, ni l’éventualité de le pratiquer seul.

Près de lui se trouvait Marie-Joséphine Faniel, une voisine, née en 1828 à Lancey, et qui respirait la santé : elle allait devenir la première donneuse de sang…

« Je trouvai dans la maison une petite seringue d’enfant dont je pensais pouvoir me servir et qui pouvait contenir soixante-dix grammes de sang. Je fis préparer l’eau chaude, les vases, le linge dont je supposais avoir besoin ; je m’assurai des bonnes dispositions de la fille Faniel, qui voulut bien consentir à nous donner son sang. Je procédai ensuite à l’opération de la manière suivante : le bras droit de la malade fut étendu sur le lit dans la position de supination et fut maintenu par une femme ; je fis sur la veine basilique, et dans sa direction, une incision de deux centimètres, puis j’isolai complètement cette veine dans une étendue d’environ un centimètre ; je fis passer au-dessous de celle-ci un fil porté par une aiguille : ce fil devait me servir à la soulever à volonté et à la serrer légèrement sur la canule de la seringue pour éviter l’introduction de l’air au moment où la seringue serait appliquée. […] Je fis à la veine une ouverture d’environ un demi-centimètre, par laquelle il ne sortit que deux ou trois gouttes de sang, qui coulèrent doucement, sans impulsion sensible ; je fis comprimer légèrement la veine au-dessus et au-dessous de l’ouverture, d’une part pour empêcher l’introduction de l’air, de l’autre, pour empêcher la sortie de quelques gouttes de sang ; immédiatement je saignai la fille Faniel ; je reçus le sang dans une tasse, qui était elle-même dans un vase plein d’eau chaude pour lui conserver sa chaleur ordinaire, chaleur que je ne pouvais calculer que d’une manière approximative, n’ayant pas de thermomètre à ma disposition ; je pris rapidement la seringue qui était préparée et chauffée, de manière à ne pas modifier l’état du sang et empêcher la présence de l’air. Je la remplis avec le sang contenu dans la tasse. J’appliquai le piston de la seringue que je poussai légèrement pour m’assurer qu’il n’y avais pas d’air à l’extrémité de la canule ; j’introduisis le bout de la canule de l’ouverture de la veine, sur laquelle je fis serrer légèrement le fil, puis je poussai lentement et avec précaution dans la veine le sang de la seringue. Après avoir fait faire au piston un tiers du trajet qu’il devait parcourir, une résistance subite s’opposa au mouvement en avant que j’imprimais au piston, ce qui me fit comprendre que le sang ne pénétrait plus, soit parce qu’il avait commencé à se coaguler, soit par une autre cause que je ne pus m’expliquer ; je fus en conséquence obligé de suspendre mon opération. […] Malgré ce peu de succès, je décidai que je tenterais une nouvelle injection, puisque la première, quoique très incomplète, n’avait pas amené le moindre accident. En un instant, la seringue, remplie de sang d’une nouvelle saignée, fut introduite dans l’ouverture de la veine. Dans cette seconde tentative, je pris la précaution d’envelopper la seringue de linges constamment imbibés d’eau chaude. Cette fois, je fus plus heureux. Tout le sang que contenait la seringue fut poussé dans la veine. […] J’évalue à quatre-vingt-dix grammes le sang que j’avais introduit en deux injections. L’introduction du sang ne fut suivie d’aucun incident, d’aucune douleur, d’aucune crise, d’aucune secousse. J’ai constaté que presque immédiatement après la transfusion la respiration devenait plus régulière, que la sensibilité était plus apparente, que le pouls devenait plus fort, que les dispositions à la syncope cessaient. Après avoir pansé la petite plaie faite pour l’introduction du sang, je m’occupai de consolider le mieux qui s’était si subitement manifesté. Deux heures plus tard, la malade fut tellement bien qu’elle s’endormit quelques instants, et à ce sommeil succéda un mieux inespéré qui nous annonçait la fin de la crise terrible qui m’avait effrayé, ainsi que les sept ou huit personnes qui m’ont complètement assisté. »

Mme Mallet fut sauvée grâce à cette transfusion, chanceuse il est vrai puisque le sang de la donneuse et celui de la patiente s’étaient révélés compatibles !

Cette intervention eut un retentissement international : le 17 décembre 1851, le docteur Marmonier rencontra au Café de la Table Ronde à Grenoble le chirurgien du Tsar, venu spécialement de Russie pour se faire expliquer les conditions et la méthode. La médecine progressant très rapidement, cet exploit fut effacé peu à peu, et le docteur Marmonier fut oublié…

Le Pr Pierre Cyprien Orè relève ainsi dans Études historiques et physiologiques sur la transfusion du sang : « Sa conduite aura surtout le grand avantage d’inspirer aux praticiens une confiance dont ils manquaient. Dans l’opinion publique, la transfusion du sang, pour réussir, pour n’être pas dangereuse, nécessitait une dextérité toute spéciale, un appareil médical compliqué, des aides instruits. Et bien ! en la voyant exécutée à la campagne, par un médecin dont c’est le premier titre à l’illustration, sans autre instrument que ceux de sa trousse, sans autre auxiliaire que des villageois inexpérimentés, les praticiens, je n’en doute pas, reprendront courage, et M. Marmonier aura mieux mérité de la science qu’il ne l’espérait peut-être lui-même, par l’exemple plein de hardiesse et de circonspection qu’il lui a été donné de fournir. »

Il faudra toutefois attendre le début du XXe siècle avec la maitrise de la compatibilité immunologique des groupes sanguins, puis la possibilité de stocker et conserver le sang, pour ouvrir la porte aux progrès médicaux et chirurgicaux.

Sources :

  • « Le Dauphiné insolite » de Claude Muller
  • Institut national de la transfusion sanguine : Historique
  • Musée de la transfusion sanguine et du don du sang : Historique
  • Wikipédia, article « Melchior Joseph Marmonier »
Trouver une collecte près de chez vous.

3 commentaires sur « 1851 à Domène, la première transfusion sanguine hors milieu hospitalier ! »

  1. Merci pour cet article passionnant. De formation médicale je n’avais jamais entendu parler de cet évènement historique. Je le transmets a mes amies et collègues.

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    1. Bonjour,
      Nous vous remercions pour l’intérêt porté à cet article. Tout le mérite en revient à Monsieur Claude Muller, journaliste et historien, auteur de nombreux ouvrages recueillant la mémoire dauphinoise. Au sujet de cet évènement, n’hésitez pas à vous référer à son livre « Le Dauphiné insolite ».

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