Briser la glace à Uriage

Jusqu’à l’avènement de l’industrie pharmaceutique, qui fit s’éloigner certains patients du thermalisme, Uriage pouvait compter sur une vaste clientèle, qui fréquentait les eaux férugineuses avec la régularité des trams qui les y déplaçaient.

À partir des années 1870, les hôtels d’Uriage accueillaient des clients exigeants, habitués aux luxueux établissements thermaux de toute l’Europe, mais que la guerre franco-prussienne avait contraints à inonder le marché national et à chercher toujours plus profond un endroit d’apaisement.

Or, la « belle saison » venue, pour que les boissons restent fraîches (et les aliments impeccables) il fallait de la glace. Ce qui pouvait paraître évident sur les contreforts de Belledonne dans les années 1880, fut en réalité une entreprise tout à fait organisée. En tout cas, organisée par « Monsieur Louis » , encore lui.

Afin d’alimenter en glace les hôtels lui appartenant, le comte de Saint-Ferriol fit construire sur les hauteurs d’Uriage, deux petits étangs d’un mètre de profondeur sur vingt mètres de long et dix de large. Ces bassins étaient situés à mi-chemin entre le château d’Uriage et « le Belvédère », qui était à l’époque un hôtel de montagne.

Au mois de décembre chaque année, quand le gel et le vent avaient fait tomber les dernières feuilles des arbres, ces retenues étaient remplies d’eau et — chose inconcevable pour les plus jeunes générations à présent — la couche de glace y atteignait 20cm.Il ne restait alors plus qu’à scier où casser des blocs de cette glace, pour la transporter jusqu’à des caves (ou glacières) aménagées pour la conserver.

Au premier plan à droite, l’ancienne glacière du château d’Uriage.

Les murs de ces caves étaient doublés de planches qui isolaient le reste de la pièce des murs de pierre à environ 30cm. Cet intervalle entre les murs et le bois était rempli de sciure de bois, qui faisait fonction d’isolant. La glace pouvait s’y conserver durant tout l’été, servant de refroidisseur à une pièce qui, en plus d’accueillir des viandes et autre périssables, abritait les mélanges glacés et sorbets de la clientèle des thermes, des hôtels ou de simples passants.

Les hôteliers qui n’avaient pas d’étang à disposition s’entendaient avec une scierie ou un moulin: l’on détournait quelques temps le système hydraulique, on branchait sur un gros tuyau de chute un robinet, l’eau giclait à 3 ou 4m de hauteur et retombait en pluie fine, formant un gros bloc de glace. Bloc que l’on découpait ensuite pour le transporter sur une charrette jusqu’à une cave aménagée.Montagne oblige, on utilisait aussi des luges ( « loëves » en patois) pour le transport de ces blocs, lorsque le terrain s’y prétait.

Été comme hiver, les hôteliers uriageois disposaient de chambres froides où entreposer viandes, poissons, fruits, légumes… et sorbets.

Par la suite seulement, les glacières s’installèrent à Grenoble et la glace arriva par tramway, en barres d’un mètre de long et de 25kg.

Laurent Vivarat, ancien commerçant uriageois, dans son « Uriage-les-Bains. Ses environs » (1979) nous raconte qu’en 1930, M. Zai l’épicier créa une fabrique de glace qui fonctionna jusque dans les années 1950… Puis vinrent les Trente Glorieuses et leurs réfrigérateurs industriels; et surtout individuels.

Depuis que chacun fait « sa » glace, il a été oublié qu’un jour, on brisait ici la glace pour tous.


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