La bibliothèque libre du château

A l’occasion de la création de la bibliothèque libre de la copropriété, revenons un instant sur ses antécédents.

Cicéron écrivit un jour à son ami Varron, écrivain et magistrat romain :

« si vous avez une bibliothèque et un jardin, vous n’avez besoin de rien »

(« Si hortum in bibliotheca habes, nihil deerit »i.)

Ainsi, une bibliothèque serait-elle un jardin de la pensée où l’on se rendrait tantôt pour se reposer, tantôt pour prendre la lumière de quelque astre des sciences, tantôt pour s’embarquer dans une aventure inouïe sur les sept mers, ou encore afin de cultiver un art personnel ou une personnalité artistique…

Un jardin, le château d’Uriage en dispose depuis ses débuts. Lentement entretenu de mains humaines, ses terrasses procurent encore aujourd’hui des lieux de vie (humaine et sauvage) et le souvenir d’activités bien plus larges que les seuls contours de la propriété actuelle.

Quant à sa bibliothèque, cela fait bien longtemps que le château n’en a pas connu de si belle qu’au temps de « Monsieur Louis ». Le comte de Saint-Ferriol, personnalité instruite, explorateur, mécène, égyptologue amateur, avait accumulé avec passion des milliers de documents, livres, revues et cahiers manuscrits. Certains de ces cahiers personnels témoignaient  de ses voyages en Égypte, en Nubie (jusqu’à l’Ouâdi-Halfa, au sud de la deuxième cataracte du Nil) puis au Sinaï, entre le 5 décembre 1841 et le 19 août 1842ii.

Rouleaux architecturaux, récits personnels, plans de Jérusalem, d’Athènes, de l’acropole de Ba’albek… Ces témoignages mythiques illuminaient alors le cœur — ou plutôt la tête — du château : sa bibliothèque ; et venaient concurrencer la non-moins fascinante collection du cabinet de curiosités du château (qui forme à présent une partie des collections du Musée de Grenoble et du Musée Dauphinois).

Près de cent quatre-vingts ans se sont écoulés entre cette période d’explorations et nous-mêmes. La bâtisse connut, pendant ce «court» laps de temps, ses plus grandes transformations de l’époque moderne. La bibliothèque fut seulement l’un des nombreux éléments de l’ancien monde — pour ne pas dire de l’ancien régime — qui céda la place aux besoins militaires, puis à l’abandon, puis au renouvellement de l’espace intérieur en copropriété.

Ainsi transformé par la nécessité de son époque, ce lieu millénaire et contemporain continue d’abriter la vie quotidienne de dizaines de personnes.

Mais qu’en est-il de ce qui pourrait les réunir, les faire se rencontrer, échanger, dialoguer, se connaître ?

Il est des livres qui nous sont importants et qui, en nous accompagnant, transforment ou façonnent également nos vies. Ainsi, le plus court chemin entre habitants du château— copropriétaires, locataires, vacanciers ou passants — nous a paru être un espace de partage de livres, accessible à tous et auquel chacun est invité.

Encouragés par l’initiative « BookCrossing » d’Hélène Larme pour Noël 2019, nous avons créé, début février 2020, une petite étagère (en bois de récupération) dans le hall de Châteauvieux, dans une ancienne ouverture de porte médiévale à présent murée.

Certains des livres qui y sont stockés, apportés et pris sont des livres enregistrés sur le site https://bookcrossing.com, pour être suivis et reconnus par leurs « libérateurs », où qu’ils se trouvent.

Janvier 2020, le premier espace accueille ses premiers livres.

Loin de vouloir ne serait-ce que rappeler la formidable collection du Comte, l’espace que l’on appelle « bibliothèque libre » est un discret appel à la continuation des échanges, dans ce lieu qui abrite, sans discontinuer depuis le XIe siècle, la vie humaine et sauvage.


Texte sous licence libre CC0

Sauf mention spéciale, images libres de droits


Sources:

i Ad Familiares IX, 4, à Varro

ii https://www.ifao.egnet.net/bifao/027/04/

Un avis sur « La bibliothèque libre du château »

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer